Fin septembre se tenaient les rencontres nationales des communes forestières à Rouen, organisées par la FNCOFOR (Fédération nationale des communes forestières). Un rendez-vous immanquable pour parler d’action publique en forêt, qui a rassemblé plus de 200 participant.e.s venant des quatre coins de la France (élu.e.s de communes forestières et agents en charge du sujet, COFOR régionales, Parcs Naturels Régionaux, Conservatoire d’Espaces Naturels, représentant.e.s de la filière …). Une bonne immersion au cœur du sujet pour nous, en territoire pas tout à fait inconnu (on a recroisé plusieurs acteurs rencontrés lors de l’enquête sur le PNR des Boucles de la Seine Normande). Thème de l’année : « repenser le dialogue autour de la forêt : les territoires au cœur des solutions » … ça valait quand même le coup d’y laisser traîner nos oreilles !
Les 3 jours ont été ponctués par des débats, des histoires de territoire et des visites terrain, en immersion dans les chartes forestières normandes. Y ont été abordées les questions forestières sous l’angle des risques naturels, des filières courtes et de proximité, de la protection de la biodiversité, des stratégies commerciales territoriales et de contractualisation, d’urbanisation, d’accueil, du tourisme… On vous raconte !
Au cœur de la forêt
C’est vêtues de nos plus beaux impers que nous sommes parties à la découverte de trois chartes forestières, pour en découvrir quelques actions aux côtés de celles et ceux qui les font vivre au quotidien…
Direction le PNR des Boucles de la Seine Normande : certification FSC et marteloscope
C’est d’abord vers la forêt de Villequier que nous nous sommes dirigé.e.s. Gérée par l’ONF, le département y mène des études sur la biodiversité du lieu. Cette visite a été l’occasion de nous introduire à la certification de gestion forestière FSC, inscrite dans leur charte forestière. Par exemple, afin de protéger certains habitats et espèces qui ne se maintiennent qu’en présence des caractéristiques que l’on retrouve dans des forêts laissées en libre évolution, il est imposé que 10% de la surface de la forêt soit favorable à la biodiversité (espace Natura 2000, vieux bois, îlots de senescences en libre évolution …). Du fait de ses exigences, elle permet de valoriser le travail qui a été fait en amont de la filière. Ce travail sur la certification FSC se fait grâce à la mobilisation d’un petit groupe de propriétaires volontaires (plutôt sensible à l’environnement) et du Parc (qui porte le coût de l’audit).
Deuxième stop à la forêt domaniale de Brotonne, où nous avons été initié.e.s à un dispositif ludique pour sensibiliser le grand public et les élu.e.s à la gestion forestière : le Marteloscope. Sur une session de trois heures, par groupe et munis d’une tablette, les participant.e.s parcourent une parcelle forestière et choisissent l’arbre qu’ils souhaitent couper. Un logiciel permet alors de simuler l’impact qu’aurait cette coupe sur la forêt : rentabilité économique, amélioration de la qualité des bois à long terme, préservation de la biodiversité … ainsi les résultats permettent de lancer la discussion sur les coupes forestières. Pour les intéress.é.s, les ateliers sont organisés par l’ONF et le PNR, et ont lieu deux fois par an.
Cap sur la Métropole Rouen Normandie : acquisition, maison de la forêt et construction bois
Nous loin du centre et des rives de la Seine, première prise de recul sur les hauteurs de la ville pour découvrir les acquisitions forestières de la Métropole rouennaise. Déjà perceptibles depuis le centre-ville, les massifs forestiers (où s’alternent forêts domaniales, forêts Métropolitaines et forêts privées) qui dessinent la ligne l’horizon gagnent en densité. L’enjeu de la parcelle où nous avons fait escale, anciennement privée, mais très fréquentée, est d’en faire un espace un accessible depuis le centre ville, aménagé pour l’accueil du public.
Prochain arrêt : la Maison de la Forêt de Darnétal, un des 3 équipements de ce type animé par la métropole. Une équipe d’agents dédiés, avec des profils plutôt de techniciens espaces naturels, s’occupe de l’animation de ces maisons, et accueillent public et scolaires pour des temps de sensibilisation à la forêt.
Le temps du retour en bus nous permet d’aborder le sujet de la construction en bois local. Il en est question notamment pour la rénovation d’une des Maisons de la Forêt, qui a brûlé en 2021 et où la Métropole souhaiterait utiliser une partie de sa ressource en bois pour la construction, avec la mise à disposition d’un lot, charge à la maîtrise d’œuvre de composer avec. Si l’ambition est là (avec 20% de bois biosourcé pour la surface de plancher), la qualité du bois de la métropole reste moyenne, et le document d’aménagement pas encore validé (et donc le plan de coupes non plus). Au-delà du lot fourni par la Métropole, les équipes comptent s’appuyer par stratégie de détournement sur les liens entre scierie et acheteurs de bois, pour privilégier indirectement du bois provenant d’un périmètre raisonnable.
La Métropole a également à cœur l’usage du bois comme démonstrateur d’une construction plus durable, c’est un axe de sa charte forestière de territoire, qui s’incarne notamment dans une tentative de créer des synergies au sein de la filière et entre architectes, maîtres d’ouvrage, entreprises d’éco-matériaux…. Sur les constructions récentes, le bois pare ici et là les murs des bâtiments, comme un message de valorisation de la filière locale.
Le Havre Seine Métropole : formation, sensibilisation et coop carbone .
Nous avons arpenté 5km de forêt sur le territoire de la communauté urbaine du Havre, l’occasion d’évoquer in situ les actions entreprises par les acteurs publics locaux en faveur de la préservation et de la gestion des espaces forestiers, ainsi que les problématiques rencontrées.
Mais tout d’abord le cadre : La communauté urbaine du Havre, c’est 53 communes et 66% de l’espace du territoire occupé par des terres agricoles très fertiles, exploitées principalement pour l’export du lin et du blé. La surface boisée est très faible, elle couvre 7% du territoire, soit 3800Ha, essentiellement située dans les pentes, « là où l’agriculture n’a pas pu se développer ». La communauté urbaine s’est dotée d’une compétence « Nature & Biodiversité » qui se déploie autour de 3 axes :
1/ La connaissance en interne, avec l’objectif de faire monter en compétence les services sur ces questions, et de former les élu.e.s;
2/ Le développement d’actions de préservation à travers la définition du PLUI, de corridors de mise en lien, et de trames vertes et bleues. Cela passe aussi par le dispositif Carbolocal, sorte de coopérative carbone locale, qui met en relation des entreprises et des agriculteurs afin de financer la plantation de haies champêtres grâce aux crédits carbone des acteurs économiques locaux : « Le carbone est un prétexte pour mettre en dialogue des gens qui ne se seraient jamais parlés » ;
3/ La sensibilisation du public à travers des actions de formation et de sensibilisation.
La communauté urbaine planche sur la mise en place d’une charte forestière de territoire, avec pour objectif de mettre « tout le monde », et notamment l’ensemble des acteurs engagés autour des questions forestières, en dialogue. Ce projet de charte forestière est né suite au désarroi des maires face aux coupes rases qu’ils ne peuvent ni anticiper, ni véritablement éviter.
Étape suivante : le PNR des Boucles de la Seine Normande nous a présenté une parcelle sur laquelle ils vont engager un travail d’information auprès des propriétaires pour permettre la prise en compte de la biodiversité forestière dans les actions de gestion. Il œuvre également au développement du label bas carbone pour des espaces boisés en libre évolution, afin que ce choix délibéré de gestion sans intervention puisse être financé, par exemple, par des crédits carbone.
Zoom sur Carbolocal : Ce dispositif est né d’un travail autour de la qualité de l’eau. Son rôle est de rechercher des cofinancements privés d’entreprises du territoire. A ce jour, cela a permis de planter 27km de haies, et d’embarquer 22 entreprises. « On vend du carbone mais c’est une façon de chiffrer. Demain on chiffrera peut-être la biodiversité ; on cherche des outils vendables à l’entreprise« . Carbolocal engage à l’échelle de 3 intercommunalités (100 communes) un projet de coopérative autour de la plantation de haies, afin de pouvoir alimenter l’ensemble des chaufferies communales. A ce stade, beaucoup de bois de coupe est utilisé en plaquettes pour alimenter les chaufferies ; demain, ils aimeraient lever la pression sur la ressource bois en produisant l’ensemble du bois-énergie à partir des plantations de haies
Bonus : la forêt monumentale de Roumare, manifestation artistique en forêt publique
Pour clôturer la journée, direction la commune de Cauteleu, recouverte à 70% d’espaces naturels. Nous nous sommes ainsi rendues dans la forêt domaniale de Roumare qui occupe la quasi-totalité de la boucle de la Seine située à l’aval de Rouen, rive droite.
La forêt accueille pour les deux prochaines années l’exposition « forêt monumentale » (deuxième édition), un dispositif culturel qui prend la forme d’un parcours à travers une dizaine d’œuvres conçues par des artistes du monde entier, pour « (re)découvrir, avec un autre regard, ce milieu naturel remarquable ».
Ce projet s’inscrit dans le travail de valorisation et de sensibilisation des trois forêts domaniales labellisées Forêt d’Exception®, mené par la Métropole Rouen Normandie en collaboration avec l’ONF, gestionnaire du site. L’ONF accompagne la Métropole sur ce projet à chacune des étapes : définition du parcours, des sites d’installation des œuvres, membre du jury de sélection, responsable des travaux de sécurisation du site… C’est ludique, c’est original … on ne résiste pas à l’envie de vous partager quelques unes de ces installations éphémères.
Retour en plénière et aperçu des discussions
Difficile d’être exhaustif et vous partager l’ensemble des échanges … On a donc réunis ici quelques sujets qui font réfléchir, qui font envie, qui font friser …
Il y a de l’électricité dans l’air ! quelques sujets qui font des étincelles :
- Remettre en cause « les règles du jeu » basées sur la croissance économique, proposé par Cyril Dion en conférence introductive … N’a pas fait l’unanimité ;
- On parle de concertation et de dialogue, mais on n’a croisé aucune association/représentant.e.s de la société civile à ces rencontres, alors qu’en parallèle un gros conflit fait rage avec l’association Canopée ;
- Acquisition publique, c’est pas automatique ! Au delà de l’acquisition publique VS privée, l’acquisition entre acteurs publics eux-mêmes semblent parfois lever des tensions (par exemple entre une commune et un Conservatoire d’Espace naturel) … Car la forêt demeure une source de revenu pour les acteurs publics, mieux vaut alors l’avoir dans son patrimoine foncier.
Ça nous donne du grain à moudre :
- Il y a pas de secret, l’animation des démarches de concertation repose sur les équipes disponibles pour les mettre en œuvre. Avec des agent.e.s qui croulent déjà sous les projets et sujets, comment ne pas en faire la charge de trop qui risque de passer à la trappe ?
- Réorienter l’usage de la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales, destinée aux communes rurales dont une partie significative du territoire comprend une aire protégée ou jouxte une aire marine protégée, vers des actions de préservation de la biodiversité (là où aujourd’hui les communes ne sont pas contraintes dans l’allocation de cette dotation).
- L’enjeu de d’offrir un nouveau cap aux chartes forestières, en les rendant plus engageantes pour les parties prenantes.
Quelques pépites en vrac :
- Le travail sur les financements pour services environnementaux à Vals les Bains (Ardèche)
- La gestion des forêts du Domaine de Montéclin en collaboration association des Amis de la Vallée de la Bièvre, une association de protection de l’environnement dans un cadre régional.
- Une réunion anti-jargonnage forestier animé par l’ONF à Cluny, pour mettre tout le monde à niveau dans la construction de la Charte Forestière de Territoire.