Dans le cadre de l’AMI « Concertation et multifonctionnalité des forêts », le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF) de Nouvelle-Aquitaine porte, avec le département de la Gironde, le projet « Sylva-cités », un déploiement sur le territoire de plusieurs « livings labs » forestiers, dont la méthode (à la sauce girondine) est ici expérimentée pour créer du lien, partager une vision, créer de nouveaux partenariats, promouvoir de nouvelles actions pour valoriser les services écosystémiques rendus par la forêt… Une bonne occasion de s’immerger dans ces processus de concertation, et en tirer quelques enseignements ! Cette méthode permettra-t-elle d’arriver aux fins escomptées ? Ces dernières sont-elles clairement définies et partagées par les participant.e.s ? Que se passera-t-il à l’issu du projet ? Le pari d’un dialogue renouvelé entre parties-prenantes perdurera-t-il ?
À la racine de Sylva-cités
Avant toute chose, un petit point sémantique s’impose ! Si on parle ici de « living labs forestiers », il s’agit en fait d’un petit raccourci, une inspiration plus qu’une application stricto-sensu de cette méthode d’innovation appliquée au contexte forestier (exploré notamment par le chercheur Maxence Arnould). Le CNPF s’est inspiré de la démarche pour créer un processus de concertation multi-acteurs, qui implique parties prenantes publiques, privées, professionnel.les de la filières, citoyen.nes et usager.ères, sur un temps court (3 ateliers maximum), là où démarche de living lab peut prendre plusieurs années, et basé sur une méthodologie réplicable grâce à un déroulé type.
- Le 1er atelier permet une prise de connaissance du territoire d’expérimentation concerné, des différentes parties prenantes, et utilise l’intelligence collective pour faire émerger les services écosystémiques les plus importants pour les participant.e.s ;
- Le 2e atelier rassemble les parties prenantes autour d’une carte du territoire afin de spatialiser les services sélectionnés au premier atelier, les confronter aux éventuels conflits d’usage ;
- Le dernier atelier permet d’imaginer et/ou approfondir les propositions d’actions faites au deuxième atelier afin de déterminer leur opérationnalité.
Petit retour arrière … avant Sylva-cités, Sylvalor.
En février 2022 a été lancé le projet « Sylv’valor : Construire la forêt de demain », toujours porté par le CNPF de Nouvelle Aquitaine, qui a permis notamment de dresser un diagnostic de la perception des forêts girondines et de ses services par les différents acteurs de la forêt, par l’intermédiaire d’une enquête téléphonique auprès de 800 propriétaires forestiers et une enquête en ligne auprès de 370 citoyen.ne.s de Gironde. Si la gestion forestière est plutôt méconnue des habitant.e.s, qui en apprécient cependant certains services (récréatifs, comme la cueillette, la fonction îlot de fraicheur…), les incendies de l’été 2022 ont catalysés les concernements et interrogations de la population sur les alternatives à la gestion forestière classique (monoculture et coupe rase).
Une première cohorte de living lab a été lancée pour mettre en dialogue expert.e.s et non expert.e.s et amener les participant.e.s « à co-gérer des plans d’actions localisés ». Fort de cette première expérience, le CNPF a profité de l’AMI pour redéployer sa méthode imaginée avec cette fois-ci de nouveaux territoires.
On embarque ? Immersion en living lab forestier
Pour cette nouvelle cohorte de « living labs forestiers », l’accent a été mis sur les enjeux des territoires péri-urbains (mitage, difficultés d’exploitation, forêts récréatives), plutôt concentrés dans l’aire métropolitaine de Bordeaux.
L’un de ces livings labs a particulièrement retenu notre attention, celui de la lisière forestière entre Martignas-sur-Jalle et Saint-Jean-d’Illiac. La forêt, espace « tampon » entre ces deux centralités urbaines (qui ne dépendent pas des mêmes intercommunalités) aux marges du plateau forestier landais, se compose de parcelles publiques et privées pour former un corridor écologique. Dépasser les limites administratives et le clivage public-privé devient plus que nécessaire quand il s’agit de préserver cet espace contre l’étalement urbain, garantir les services liés à la disponibilité et à la qualité de l’eau (de la Jalle, qui parcourt le territoire), et prévenir collectivement le risque incendie.
Journal de bord : atelier 1
Rassemblé.e.s dans un cadre d’exception pour un premier atelier (la sablière du Laugey au cœur de la forêt), les partcipant.e.s avaient pour mission de définir les services écosystémiques rendus par la forêt les plus importants à leurs yeux. Et il a fallu se mettre d’accord. Spoiler, ont été notamment retenus : le maintien de la biodiversité, la protection des aléas naturels, bois et fibre, stockage du carbone, température et micro-climat … non sans générer certaines frictions face à des postures bien affirmées mais pas forcément alignées sur la vision.
Notre posture d’observateur-enquêteur nous a permis d’investir les temps plus informels :
- Profiter du court trajet entre le parking et le lieu d’atelier pour sonder les usages et attachements des participant.e.s (avec leur casquette pro ou perso) pour la forêt qui fait l’objet des discussions. De quoi mieux saisir pour nous les usages de cet espace : du sportif du dimanche en passant par la promenade canine, à l’objet de recherche dans lequel on n’a pas forcément mis les pieds, à un engagement pour une récole de déchets, à ceux qui sont directement chez eux, et à ceux qui y voient surtout un espace à préserver pour les générations futures…
- Des entretiens express avec les deux maires des communes qui se partagent cet espace, faisant ainsi ressortir quelques problématiques et étonnements : La pression de l’étalement urbain face à l’envie de garder cet espace préservé ; Le risque incendie comme menace à cause de la proximité urbaine ; Chaque commune son plan de gestion et son plan de prévention des risques incendies (sans véritables croisements), bien qu’il y ait des sources de coopération sur d’autres sujets, comme celui de l’eau par exemple et la Jalle qui traverse les deux communes (convention entre les deux intercos, pour avoir une porosité d’intervention des techniciens rivières) ; Le recours à la police municipale quand intrusion chez un propriétaire privé ; au point de prévoir l’embauche à court terme d’un garde champêtre pour allier sécurité-police-préservation.
Journal de bord : atelier 2
Mi-septembre s’est tenue la deuxième session du living lab « Lisière forestière », ayant pour objectif de spatialiser les services écosystémiques retenus et les confronter aux aspirations des participant.e.s.
Dans le groupe auquel nous nous sommes greffés, deux sujets ont particulièrement révélé une forme de tension, avec quelques idées pour tenter de les dépasser :
Chasse VS Promenade : tous les loisirs ne se valent pas aux yeux des propriétaires : Si les propriétaires privés sont parfois plus friands de chasseur.euse.s que de marcheur.euse.s, c’est, certes, pour une raison économique (les chasseur.e.s louent les forêts pour y pratiquer leur loisir), mais c’est aussi une question de responsabilité. La chasse est encadrée par une convention entre la fédération de la chasse et une instance (comme un syndicat mixte), alors que la promenade est de l’ordre du spontané (mais illégale quand elle se fait sur propriété privée). En cas d’accident (chute d’un.e vttiste en se prenant une racine, branche qui tombe sur un promeneur.e.s) c’est la responsabilité du propriétaire qui est engagée. Et ça, autant dire que ça ne leur plaît pas trop !
Parmi les pistes avancées, s’inspirer du conventionnement en vigueur pour les GR, où c’est l’assurance de la fédération de randonnées qui joue, où encore imaginer une forme de conventionnement entre les prioritaires privés et l’acteur public/une fédération pour mieux partager la responsabilité.
Pas si simple les plans simples de gestion : Les plans simples de gestion sont obligatoires pour les propriétaires privés dont les forêts font plus de 20ha. C’est un outil d’analyse des fonctions économique, écologique et sociale de sa forêt, ainsi que le programme de coupes travaux pour les 10 à 20 années à venir. Il est agréé par le CRPF. Pour le propriétaire présent à l’atelier … le seuil des 20ha exclut un grand nombre de propriétaires, notamment ceux qui ont des plus petites surfaces mais ne la gère pas ou peu … or, ces petits espaces aussi ont leur importance dans l’écosystème, et mieux accompagner ces espaces et leurs propriétaires « pour pas qu’ils fassent n’importe quoi » apparaît comme essentiel. « Les gros propriétaires savent ce qu’ils font ». Bien que des documents facultatifs permettent d’encadrer et partager l’évolution des forêts non soumises à cette réglementation, les propriétaires ont-ils recours à ces outils ? Si toutes les forêts mêmes les plus petites étaient sous document de gestion, est-ce que ça changerait vraiment quelque chose ? Cela permettrait-il d’avoir une vision plus exhaustive de l’évolution de la forêt au-delà des parcelles cadastrales ? Quelle organisme/structure dispose d’une ingénierie suffisante pour agréger la masse de propriétaires forestiers (des mini parcelles aux vastes espaces) ?
Au-delà d’enjeux forestiers, quelques étonnements plus pratico-pratiques sur ces ateliers :
- Un seul propriétaire privé été présent à l’atelier (qui se tenait un après-midi en semaine), face à des acteurs publics (bien que différents), beaucoup plus représentés : maires, agent.e.s de Bordeaux Métropole, du département, du SCOT métropolitain…
- Comment dès à présent poser les briques de suites et des pérennisations sans quoi ces ateliers pourraient être anecdotiques sans générer de changements à court ou moyen terme ?
- Comment ne pas négliger les enjeux de coopérations inter-communaux, tout aussi nécessaire que la coopération publique-privée ?
Suite à venir !