Balade inspirante dans le Clunisois : Entre « co-gestion » d’une forêt publique et émergence d’une filière locale forêt-bois

Ce n’est pas pour son Abbaye mais bien pour son dynamisme autour des enjeux forestiers que l’on vous invite à vous attarder sur cette communauté de communes de Saône-et-Loire. D’un côté, une volonté politique de réengager l’acteur public local dans la gestion et la préservation de cet espace naturel, qui trouve son incarnation notamment dans le projet de la Forêt de l’Hôpital, où s’expérimente des modalités de gestion plus collectives ; de l’autre, un vivier d’acteurs locaux qui portent un changement de paradigme sur la   forestière, par le développement d’une filière bois local et circuit court entre autre… ça vaut le détour ! On vous partage ce qu’on a glané de nos échanges avec Carole Squevin, animatrice de la Charte de la Communauté de communes, Elise Ladevèze, co-fondatrice de l’association Plein d’Essences et en charge de la concertation autour de la forêt de l’Hôpital, et François Bonnetain, vice-président de la Communauté de Communes du Clunisois et référent Forêt.

Se réapproprier les enjeux forestiers 

Alors qu’il ne fait initialement pas partie des compétences qui lui sont rattachées, cela fait maintenant plusieurs années que le Clunisois s’est ré-emparé du sujet forêt. Si 35 communes sur les 41 du territoire sont propriétaires de forêts, avant les années 2010, peu étaient celles vraiment mobilisées sur le sujet. Alors, pour créer de l’intérêt du concercement chez les élu.e.s locaux, croiser les problématiques communales, et s’imposer comme partie prenante aux côté des coopératives forestières ou de l’ONF, une Commission Forêt est lancée. Elle aboutit en 2014 à la première Charte Forestière du territoire, qui confirme le rôle de l’intercommunalité comme accompagnatrice des dynamiques de changement :  « la forêt est un bien commun, non pas qu’elle appartienne à toutes et tous, mais car à partir du moment où il y a une action sur la forêt, cela a des conséquences sur le stockage de l’eau, sur la biodiversité, le carbone, etc… » (François Bonnetain, élu du Clunisois).

Dix ans plus tard, la Charte forestière est toujours là, la Communauté de Communes du Clunisois fait partie du paysage des acteurs de la forêt, bénéficiant d’un soutien politique qui s’est confirmé dans le temps (reposant sur quelques élus moteurs, identifiés et engagés dans les réseaux tel que l’URACOFR, Union Régionale des Communes Forestières de Bourgogne Franche-Comté). La charte a su poser un cadre de dialogue au long court entre les différents acteurs du monde forestier, d’interconnaissance et de mise en réseau, malgré des visions parfois bien différentes.

La forêt de l’Hôpital, un démonstrateur de gestion durable.

Quand en 2022, la forêt de l’Hôpital (La Vineuse-sur-Frégande), a été mise en vente, les esprits étaient assez murs pour que la Com’ Com’ se positionne, achète cette forêt de 59ha pour en faire un projet de forêt-école, démonstrateur d’une gestion résiliente, et ce tant du point de vue de son mode de gestion que de sa gouvernance. La deuxième motivation était de garder cette forêt très majoritairement composée de pins Douglas sous gestion publique, bien que largement convoitée par des acteurs privés du territoire. L’acquisition s’est d’abord faite via un établissement public foncier (EPF Doubs Bourgogne-Franche-Comté), qui délègue la gestion à l’interco jusqu’à ce que celle-ci rachète la parcelle, notamment grâce au  Fonds Vert qui soutient en partie le projet de gestion collective porté par la Com’Com’.

59ha de terrain de jeu, et ça commence par le plan d’aménagement…, mais concerté ! Il est la norme pour toute forêt publique, habituellement construit entre un acteur public-propriétaire et l’ONF. Ici, l’ambition est d’ouvrir la réflexion et la décision autour de ce document stratégique visant à définir les modes de gestion et d’exploitation de la forêt pour les 20 prochaines années, en créant un cercle de concertation composé d’élu.e.s du territoire, d’expert.e.s  en biodiversité (comme le CEN), du réseau des alternatives forestières (Plein d’Essences), du groupement forestier citoyen et de la forêt Hospitalière , de l’ONF et de l’URCOFOR.

Les usager.ère.s (promeneur.euse.s, chasseur.euse.s …) et citoyen.nes seront mobilisés dans un second temps.

A l’heure actuelle, le plan d’aménagement est en cours de finalisation, quelques événements sont prévus pour mobiliser les usager.ère.s de cette forêt, et des hypothèses de gouvernance viendront se confirmer ou s’infirmer au fur et à mesure de l’avancée du projet :

  • A venir : une inauguration de de la forêt en septembre pour mobiliser plus largement, identifier des citoyen.nes concerné.es, partager le travail en cours ;
  • Une envie : Donner les clés de la gestion quotidienne de la forêt au cercle de concertation ayant contribué au Plan d’aménagement ;
  • Une tentative : mobiliser un groupe de « gardiens et gardiennes de la forêt », qui sera formé à l’observation de la forêt, permettant à une partie de la population de se sentir concernée et partie prenante du projet.

Supports de communication pour la forêt de l’Hôpital

Au-delà de ce projet de la forêt de l’hôpital, la Communauté de communes n’envisage pour l’instant pas l’acquisition de nouvelles forêts, mais souhaite plutôt poursuivre la mobilisation des différentes parties prenantes et l’animation d’une dynamique de changement, en incitant notamment les communes à faire de l’acquisition, pour participer à la restructuration de la forêt notamment. L’URACOFOR les accompagne par exemple sur le sujet des biens sans maître, acte notarié qui permet à certaines parcelles dont il n’existe nulle trace de gestion récente et de propriétaire de retomber dans le domaine public. Cette démarche permet donc aux communes d’incorporer des biens qui n’ont plus de propriétaires connus. Mais tout ça prend du temps : environ 2 ans pour récupérer parfois 1ha … Le temps de la forêt, ce n’est jamais du court terme !

Vers la création d’une filière locale Forêt-Bois

Autre initiative prometteuse dans le Clunisois qui illustre la dynamique forestière portée par la société civile : l’association Plein d’Essences, un collectif de professionnel.e.s du bois où forestiers, bûcherons, charpentiers, menuisiers, luthiers, en passant par un scieur mobile, militent pour la relocalisation de la filière forêt-bois par la coopération et le partage des différents savoirs-faire. L’association est partenaire de la Charte forestière, contribue à sa mise en œuvre par la prise en charge de certaines actions en forêt, . Un partenariat de fait, qui permet aux communes de recourir aux acteurs locaux tout en soutenant le développement d’une filière locale encore fragile. Du côté de Plein d’Essences, on espère consolider une véritable dynamique partenariale avec la com’com, en troquant les prestations ponctuelles contre une véritable convention de partenariat. Pour l’anecdote, les seuls endroits où une convention tripartite (ONF, collectivité, asso militante) ont été signées pour la gestion d’une forêt sont dans le Larzac et à Notre-Dame-Des-Landes. Pourtant les liens sont là : au moment de la vente de la forêt de l’Hôpital s’était posée la question d’une co-acquisition collectif citoyen, acteur public, mécène(s) … mais ce type de portage public-privé-commun aurait fait basculer la forêt dans le domaine privé, là où des propriétaires privés auraient pu faire des offres de rachat bien plus alléchantes pour cette forêt très convoitée. Cette solution n’avait donc pas été retenue au profit du rachat par l’Établissement Public Foncier. Néanmoins, l’enjeu d’instituer durablement, y compris juridiquement, la co-construction de la gestion de cet espace forestier demeure, tout comme l’enjeu de consolider la filière forêt-bois locale émergente.

Scierie mobile, alternative aux scieries traditionnelles

Ce petit tour dans le Clunisois, riche en rencontres, ouvrent des perspectives intéressantes sur le rôle de l’acteur public en forêt. On garde un œil sur le projet de la forêt de l’Hôpital, qui nous inspire tout un tas de questionnements quant aux nouvelles modalités de gouvernance qu’il pourrait faire naître :

  • Comment le groupe de concertation va-t-il s’organiser dans le temps ? Quel cadre financier pour envisager sa pérennisation ? Aura-t-il un réel pouvoir de décision sur les choix stratégiques autant que quotidiens ou sera-t-il plutôt une instance de consultation ? Comment assurer une pérennité à cette co-gestion ?
  • Comment s’organisera l’animation du groupe citoyen des gardiens et gardiennes de la forêt ? Selon quelles modalités vont-ils se mobiliser ? Quelles données vont-ils faire remonter ? Et pour alimenter quel observatoire ? Vont-elles avoir des répercussions sur les décisions stratégiques ?
  • Comment mesurer et évaluer les coopérations induites par la charte forestière, les nouvelles stratégies forestières adoptées par les propriétaires du territoire, publics comme privés ?
  • Comment consolider l’émergence de la filière locale Forêt-Bois ?