Cela fait maintenant quelques mois que nous nous sommes immiscés dans les politiques forestières, et impossible de passer à côté des fameuses Chartes Forestières de Territoire. On en dénombre un peu moins de 150 (ça mérite de s’y pencher!), avec des pilotages et périmètres qui varient mais souvent animées par des communautés de communes ou des parcs naturels régionaux. Elles déterminent une stratégie sur plusieurs années pour la forêt et le bois, avec les acteurs de filière, et se déclinent en un plan d’actions qui répond à ses axes stratégiques. A la 27e région, on est plutôt friands des objets administratifs de ce type, qui donnent un cadre à la coopération. Bien que la charte soit un outil non contraignant et agile, cela ne veut pas dire qu’on s’interroge si souvent sur les manières de les renouveler ou de les rendre plus ambitieuses (à temps contraint, c’est plus facile de faire comme on a toujours fait!).
Avec le PNR des Boucles de la Seine Normande, qui est en pleine période de révision de sa charte de Parc, et d’ici peu sa déclinaison forestière, on s’est dit que c’était un bon moment pour s’interroger un peu plus sur ce document. L’idée n’est pas tant de remettre en cause les chartes en tant que telles, mais plutôt de les questionner du point de vue de leur(s) format(s) (est-ce juste un document textuel ?), de leur lisibilité et de leurs modalités d’animation, au regard des problématiques rencontrées par les personnes en charge de leur animation, ou des ambitions qu’on met derrière.
Voici quelques nœuds, non exhaustifs, que l’on pourrait travailler avec nos partenaires normands !
1) La mobilisation des partenaires dans le temps
Pas facile de maintenir une dynamique partagée tout au long de la vie des chartes ! Le moment d’élaboration de la stratégie est particulièrement mobilisateur, notamment du côté des élu.es, mais par la suite l’implication s’étiole quelques peu (pas toujours simple de garder le cap sur tous les sujets).
Comment créer de la désirabilité pour les enjeux forestiers dans la durée ? Comment maintenir les partenaires informés sans attendre les traditionnels COPIL ? Comment permettre aux parties prenantes de contribuer tout au long de la vie des chartes ?
Ce qu’on pourrait imaginer :
- Des formats de mise à jour (ex : une newsletter, une expo, une documentation des actions mises en œuvre…), de partage de ce qu’il se passe au fil de l’eau pour ne pas attendre le comité de suivi qui a lieu une fois par an ; construire une récit appropriable et moins technique sur les actions forestières, les enjeux que rencontrent le territoire, les sujets qui demandent une mobilisation …
2) Assumer le double parti-pris de la stratégie moyen terme et de l’adaptation spontanée.
Certes, la charte forestière est un cadre plutôt peu contraignant. Il n’empêche qu’il incarne une stratégie sur plusieurs années à venir, une vision à minima long terme de transformation ou préservation de la forêt. Et pourtant, les incertitudes sur le devenir des forêts (avènements d’épisode climatique, parasites…) peuvent conduire à ré-apprécier les priorités au fil de l’eau.
Comment sont évaluées les actions déployées dans le cadre de la charte ? Comment se doter d’outils de suivi et d’évaluation au fil de l’eau pour remodeler les actions prévues dans la charte en fonction des priorités du moment ? Sur quelle temporalité sont prévues les actions (programmation annuelle ? Déclinaison pour 5 ans ?) ? Comment les actions non prévues initialement s’insèrent-elles dans la charte ?
Et si demain, on déployait un plan d’action-réaction pour ancrer la stratégie au plus près des priorités du moments, mais aussi pour s’autoriser à porter des actions plus ambitieuses, quitte à ce qu’elles échouent et soient réajustées ou mise au placard pour un moment.
3) Incarnations de la Charte Forestière
Une charte forestière, c’est quoi concrètement ? Et si on n’avait pas de charte forestière ? Et si demain la charte forestière durait 1 an ? Et au niveau du format ça ressemble en quoi ? Comment elle s’incarne à part dans un document et un comité de pilotage ? Est-ce que ce PDF on s’y réfère souvent ? Qui en prend connaissance ? A qui est-il destiné et est-il pensé pour être appréhendé simplement par ces personnes ? La charte a-t-elle encore un sens ou est-on sur pilote automatique ? Qu’est-ce que la charte nous permet de faire qu’on ne pourrait pas faire sans ? Et inversement, quel serait l’intérêt de ne pas renouveler la charte cette année ? Et si la coopération entre les personnes mobilisées autour des enjeux forestiers à l’échelle d’un territoire prenait d’autres formes ?
Au- delà de ces questions un peu déroutantes, nous sommes convaincus que le moment de renouvellement de la Charte, avec les principaux partenaires est une bonne occasion pour soulever ces questions et pour en faire un objet de travail et de réflexion collectif.
4) La synchronisation avec les chartes voisines
Du côté de nos complices normands, il y a une volonté de s’articuler avec les chartes voisines et constituer un réseau territorial. Cependant, comme les fonctionnements des acteurs qui les pilotent sont différents (le PNR anime les actions, la Métropole délègue…), la mise en œuvre d’actions communes n’est pas toujours évidente. Un comité de pilotage commun a été instauré, pour permettre aux acteurs de se synchroniser et éviter surtout la sur-mobilisation des partenaires (qui au lieu de participer à 4 comités de pilotages, n’en font plus qu’un!). Le petit hic, c’est que cette initiative a tendance à moins « ancrer » les enjeux de chaque charte forestière, et rendre ce temps un peu plus général.
Comment donc ré-ancrer ce fameux comité de pilotage ? Comment faire de ce réseau un endroit de réciprocité et de coopération, voire faire émerger des projets communs, co-portés ? Qui prend la charge de l’animation de cette dynamique ?
Ce qu’on pourrait imaginer :
- Des nouvelles modalités de coopération entre les animateurs des chartes (des temps de codev pour s’entraider sur des sujets bloquants/des irritants, des missions-défis communs…)
5) La diversification des contributions
Il y a une problématique qui est un vrai caillou dans la chaussure de nos partenaires, c’est l’entre-soi. Et ils le reconnaissent, faute de réussir à mobiliser largement, on se contente de celles et ceux qui viennent, et ce sont toujours un peu les mêmes … au risque de se faire reprocher la non représentativité de ces derniers. Et du côté propriétaires privés comme des usagers, on a du mal à se défaire de cette non exhaustivité.
En ce qui concerne les habitant.es, l’élaboration de la charte est toujours un moment riche en contributions (panel habitant, récits, ateliers)… le souci étant à la fois de donner/ reconnaître une légitimité suffisante à ces contributions afin qu’elles soient véritablement prises en considération et de mobiliser les habitant.es dans la durée (tout en réinterrogeant sur les réelles attentes derrière la mise en œuvre de dispositifs de participation citoyenne).
Comment on donne de la valeur au concernement pour la forêt / au droit d’accès à la nature au-delà du droit de propriété ? Comment muscler l’argumentaire en faveur d’une participation habitante non représentative (argument qui conduit à délégitimer la participation citoyenne actuellement, car peu d’habitants sont mobilisés) ? Comment accueillir des contributions qui ne s’exprimeraient pas dans les instances/dispositifs prévus à cet effet ? Comment sortir d’une mobilisation habitante conjoncturelle (au moment des réécritures de chartes etc…) mais plutôt collecter des contributions au fil de l’eau qui peuvent être remobilisées à ce moment là ? Comment être précautioneux pour ne pas sursolliciter les habitant.es en demandes d’avis tous azimuts ? Et puis comment muscler les capacités des agents du parc, qui sont parfois vus comme un peu techno (c’est pas nous qui le disons, c’est eux), à mobiliser les habitants, on s’ouvrant une pluralité de forme de participation ?
Ce qu’on pourrait tester :
- Un booster du panel habitant : Profiter d’une instance de participation citoyenne mise en place pour le renouvellement de la Charte de parc pour réfléchir avec eux à une instance de participation idéale : de quoi auraient-ils besoin ? Qu’est-ce qui peut être un frein à l’engagement dans la durée ? Comment on sécurise cette participation pour qu’elle soit confortable pour toutes et tous ? Quels sont les moteurs à la participation des habitant.es d’une part et à la volonté de les faire participer d’autre part ?)
- Travailler la parole des habitant.es avec les élu.es / muscler l’argumentaire en faveur de la participation citoyenne ; révéler l’implicite derrière leur recours à l’argument de la non représentativité
- Faire des agents du parc des transmetteurs/traducteurs/courroies de transmission entre le politique et l’habitant.e, ouvrir le référentiel de la participation
- Trouver des nouveaux formats d’expression des points de vue (récits, collecte de verbatims, expo ….), pour pluraliser le diagnostic/le discours sur la forêt.
Bref, du grain à moudre pour les Chartes ou outils de gouvernance forestières assimilés !